On a trouvé dans les tombes préhistoriques les premiers objets magiques employés comme porte-bonheur ou pour jeter des sorts; c'étaient des coquillages,
les Cyprées. Bientôt, ou peut-être en même temps, des objets de pierre, de verre ou de métal furent aussi affectés à cet usage. Les espèces de Cyprées les
plus répandues étaient Cypraea moneta, ou Porcelaine-monnaie, et Cypraea annulus ou Porcelaine
anneau-d'or, appelée elle aussi Porcelaine monnaie. Leur taille, moyenne et uniforme, la beauté de leur forme, le brillant de leur émail et leur abondance en faisaient un objet d'échange idéal.
Il était en outre facile de les nettoyer sur place et de les employer à l'état naturel.
Le nom de Cauri qu'on donne encore aux Porcelaines est dérivé d'un mot grec signifiant « petit cochon », sans doute parce que beaucoup de Cyprées
ressemblent à l'arrière-train d'un porc. Les Romains les appelaient du reste porci ou porculi, ce qui, en français a donné Porcelaine. On a de
bonnes raisons de croire que les Porcelaines servaient déjà de monnaie en Chine 2000 ans av. J.-C., époque à laquelle furent introduites les premières
pièces de métal, dont la forme de haricot, rappelait celle des petites Porcelaines.
Les Porcelaines-monnaie sont très abondantes dans la plus grande partie de la région indo-pacifique. Les principales sources étaient l'est de l'Afrique,
surtout le Mozambique, le Kenya et Zanzibar, les îles Maldive au sud de l'Inde, les Philippines et la Malaisie. Les plus anciens tombeaux découverts en
Egypte, bien antérieurs à la construction des pyramides, contenaient de nombreuses espèces de Porcelaines. Les plus grandes, perforées près de l'extrémité,
servaient sans doute de pendentifs. De nombreux spécimens de Porcelaine-anneau-d'or ont été trouvés dans une tombe d'Abydos, colonie égyptienne
prédynastique. On a mis à jour des trésors du même genre dans les cimetières préhistoriques du versant nord du Caucase, près de la mer Caspienne, à
l'ouest et au nord de l'Allemagne et dans les urnes funéraires de Lithuanie. Dans certaines zones de l'intérieur de l' Afrique, notamment en Ouganda, les
Porcelaines servaient encore couramment de monnaie à la fin du XIXe siècle. Dans la tribu Baganda, les cours commerciaux s'établissaient ainsi: une vache
valait 2 500 Porcelaines; une chèvre, 500; un poulet, 25; une défense d'ivoire de 30 kg, 1000; une pipe, de 50 à 100. Les baguettes de tambour faites d'un
humérus humain, étaient ornées de Porcelaines. Dans les régions du Congo et du lac Tanganyika, la Cypraea moneta était d'usage courant au temps
des expéditions de Livingstone et de Stanley (1871-1876). De leur côté, les Hottentots faisaient des ornements de coquillages.
Plus un peuple était éloigné d'une source naturelle de Porcelaines-monnaie, plus l'usage en était répandu. Les principales zones de circulation étaient l'ouest
du Soudan et la côte atlantique de Guinée où on ne trouve ni Porcelaine-monnaie ni Porcelaine-anneau d'or. Aux XVlIe et XVIIIe siècles le commerce
des esclaves se payait couramment avec des Porcelaines. Avant l'époque d'Alexandre le Grand, elles constituaient la monnaie habituelle dans une grande
partie de l'Inde, en particulier au Bengale, où elles servaient à acheter le riz des îles Maldives. En 1740, la roupie indienne valait 2 400 Porcelaines; en 1756,
2 500; en 1845, 6 500. Les coquillages étaient apportés au Dekkan par bateaux, généralement par cargaisons de 50 tonnes. Au début du XIXe siècle, un
gentleman de Cuttack payait plusieurs millions de Porcelaines pour la construction de son bungalow. En Thaïlande et à Burma, la Cypraea moneta
servait aussi de petite monnaie au milieu du XVIIIe siècle.
Les Anglais employaient ces Porcelaines pour les échanges de marchandises avec les Noirs d'Afrique occidentale.
En 1848,60 tonnes, en 1849, 300 tonnes
étaient apportés des Antilles à Liverpool pour être redistribuées sur la côte de Guinée. L'importation de Porcelaines en Angleterre se poursuivit jusqu'en 1873.
Cette même année, un quatre-mâts, le Glendowra, revenait de Manille avec une cargaison de six cents sacs de coquillages quand le brouillard le fit
échouer près de Seascale sur la côte du Cumberland et, pendant des années, on put faire des pêches miraculeuses de Porcelaines sur les plages anglaises.
En Mélanésie, surtout aux îles Salomon, où les Cyprées sont très courantes, on utilisait d'autres coquillages comme monnaie. Des disques ronds de 8 à 12
cm de diamètre étaient découpés dans des Bénitiers géants. A présent encore, à Malaïta, les femmes de l'atoll Langa Langa fabriquent de la monnaie avec
les Chama que pêchent les hommes. Elles en font de petites perles qu'elles enfilent pour fabriquer des ceintures de mariage, suivant la technique qu'emploient
les Indiens d'Amérique pour leurs wampum.
Les premiers Européens qui abordèrent aux rivages de l'Amérique du Nord constatèrent que les Indiens, aussi bien sur
la côte de l'Atlantique que sur celle du Pacifique, se servaient de coquillages comme monnaie. D'un bout à l'autre
des Etats-Unis, les fouilles des sites préhistoriques révèlent que les coquillages,
tant d'eau douce que marins, ont servi longtemps
de porte-bonheur, de symboles religieux et de bijoux. Les routes commerciales primitives du sud-ouest
des Etats-Unis fournissaient des coquillages à la fois du golfe du Mexique et du golfe de Californie; toutefois,
il n'y avait apparemment aucune commune mesure entre la valeur des coquillages de l'Atlantique et ceux du Pacifique.
Les tribus indiennes établies le long de la côte, de la Nouvelle-Angleterre à la Virginie, fabriquaient des wampum
les noirs étant faits de la section pourprée du Clam Quahog Mercenaria mercenaria. Cette sorte de grosse palourde,
abondante dans les lagunes salées à l'arrière du littoral, était avec les Huîtres le comestible le plus apprécié
des Indiens comme des Européens.
Les perles de moins de 1 cm de diamètre et de 25 mm de long étaient percées au milieu et enfilées. Les wampum blancs
valaient deux ou trois fois moins cher que les noirs; ils étaient généralement tirés de la columelle, partie centrale
épaisse de la coquille du Busycon.
Ces perles étaient parfois plus grandes et cylindriques, avec 1 cm de long, mais elles avaient toujours le même diamètre
que celles des wampum noirs.
Les wampum furent tout d'abord des ornements et, sous forme de longues et larges ceintures, ils servaient de témoignages
pour les traités, les déclarations et les transactions importantes entre les différentes peuplades indiennes. Diversement
teintés, ils formaient des motifs et des dessins très ouvragés. Peu après l'arrivée des Blancs, les wampum servaient
de monnaie d'échange, au même titre que les peaux de castor, les balles de mousquet et les pièces de monnaie.
Les premiers colons eux-mêmes les utilisaient: un rang de 1,80 m valait environ cinq shillings. Au début du XVIIIe siècle,
on pouvait payer son passage sur le ferry-boat de Brooklyn avec des wampum.
Deux Écossais entreprenants installèrent alors, au nord du New-Jersey, une fabrique de wampum qui prospéra pendant
plusieurs années. Finalement, au début du XIXe siècle, alors que les contrefaçons submergeaient le marché, les wampum
furent interdits comme moyen légal de paiement.
Les Indiens du nord-ouest des Etats-Unis, de Colombie britannique et d'Alaska se servaient de Dentalium
comme monnaie avant l'arrivée des Anglais et des Russes. Le centre de pêche de ces coquillages blancs et creux, de 5 cm
de long, se trouvait dans le détroit de Puget. Les Indiens les pêchaient en piquant le fond de l'océan, où les Dentales
vivent dans la vase, avec des sortes de bâtons fourchus sur lesquels s'empalaient les Mollusques.
Les hiqua, tel est leur nom indien, étaient enfilés bout à bout en chapelets de près de 2 m de long.
Plus les coquilles étaient longues, plus elles avaient de valeur, Les chapelets servaient à acheter des esclaves, des
canoës, des squaw. Les hiqua furent de moins en moins utilisés comme moyen d'échange après l'introduction des
billets de banque par la Compagnie de la Baie d'Hudson. Vers le milieu du XIXe siècle des spécimens européens
d'une espèce plus commune, le Dentalium entale, que l'on ramasse sur les plages de l'Atlantique, furent
importés par les Européens, accélérant la dépréciation de ce genre de numéraire. Dans le nord de la Californie,
un rang de hiqua de 1,80 m, appelé allicochick, valait à l'origine 50 dollars-or.
La monnaie de coquillage avait cours dans une certaine mesure dans les tribus de l'intérieur mais elle provenait
toujours des tribus du littoral. Les boutons de Glycymeris et d'Haliotide venaient du golfe de Californie et
les chapelets d' Olivella biplicata, un coquiliage pourpré brillant, venait des bancs de sable de la côte ouest.
A la fin du XVIIIe siècle, la Compagnie de la Baie d'Hudson introduisit des Porcelaines en quantité au nord du Canada.
Bien que cette monnaie ne soit jamais devenue très courante, des milliers de Porcelaines cheminèrent vers le sud, de tribu à tribu, et on en a exhumé
récemment dans des sites funéraires du Middle-West.
Textes tirés d’après :
«Kingdom of the seashell par R. Tucker Abbott.
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